Retour sur la rencontre-débat avec Michel Lallement (11 avril 2019)
Ce texte résume la conférence présentée le 11 avril à l’IMERA par Michel Lallement, professeur de sociologie au CNAM, à l’invitation de l’Atelier de recherche sur le Travail et les libertés (ARTLib) créé en 2018 par Enrico Domaggio, dont l’APSE est partenaire. Il évoque également les discussions qui se sont développées le soir même et le lendemain durant le séminaire interne.
la conférence de Michel Lallement
Ce qui suit est une prise de notes qui récapitule, parfois de façon trop allusive, les principales idées avancées par Michel Lallement sans pour autant développer toute son argumentation.
Introduction
Un diagnostic consensuel sur les nouveaux maux du travail à l’ère de l’autonomie sous contrainte.
Une critique de la domination chez Max Weber qui la définit comme la capacité à contraindre le comportement d’autrui en vue de satisfaire sa propre volonté.
Un programme de recherche sur les utopies concrètes permettant de passer de l’opposition fonctionnelle à l’autonomie au travail, de la résistance à la pratique créative.
Un exposé fondé sur trois recherches conduites sur le phalanstère de Godin, sur les makers en France et aux Etats-Unis et sur les communautés intentionnelles américaines (voir les références plus loin). Ces recherches de terrain ont combiné travail d’archives, entretiens et de participation au long cours.
1. Des utopies aux utopies concrètes du travail
Pour une sociohistoire des utopies concrètes
La question des utopies ressurgit dans les années 1960 et prend une ampleur croissante.
Les trois sens du mot utopie : un non lieu, un lieu d’aucun temps, un bon lieu.
Plusieurs remaniements conceptuels au gré des auteurs : Norbert Elias et son livre L’utopie ; l’émergence de deux discours sur les dystopies noires (Orwell) et sur le rapprochement entre le rêve et le possible grâce à la vitesse de développement des techniques ; Ernst Bloch (Le principe espérance) qui allie le souhaitable et le possible dans les utopies concrètes ; E. O. Wright (Utopies réelles) et l’analyse du changement social et des politiques d’émancipation.
Les traits caractéristiques d’une utopie concrète : une expérimentation bricolée, du réel, du collectif, du situé, du moral.
Un foisonnement d’utopies concrètes en France comme aux Etats-Unis (voir une carte de 2019 qui représente tous les sites développant des utopies concrètes).
Utopie, travail et commun
La question du travail occupe une place majeure dès les premières utopies : Thomas More et l’importance du travail et de la propriété dans l’île d’Utopia ; Fourier et la construction d’un modèle de travail plaisant, varié et libre ; Joseph Dejacques (L’humanisphère) pour qui le travail est ce qui fait l’humain et qui met également en avant la propriété commune et le refus des votes.
Le travail est essentiel dans les communautés inspirées par le roman Walden II et s’organise autour d’un système complexe de crédits de travail.
L’importance du travail dans l’éthique hacker : la passion, l’efficacité, la méritocratie, le geste artistique, la coopération libre et horizontale (dans la tradition de l’éthique des shakers et l’importance de la beauté de la ligne sobre dans la fabrication des objets du quotidien comme les meubles).
L’évolution des règles de propriété et le passage du copyright au copyleft.
2. Trois répertoires, trois utopies concrètes
Trois moments
A chaque bouleversement de la société émergent des contre-tendances en forme d’utopies.
La révolution industrielle et Fourier
L’organisation scientifique du travail et les développements communautaires (voir la communauté Boimondau à Valence sur laquelle il travaille en ce moment)
La révolution numérique et les hackers
Et l’on pourrait multiplier les exemples : LIP, les utopies néo-rurales, etc.
Trois moteurs d’utopies dans la période plus récente
Le décalage entre le titre et le poste et les insatisfactions des personnes éduquées qui se trouvent déqualifiées dans le système d’emploi.
Le désenchantement face aux emplois proposés (notamment dans la santé et le social) et aux conditions d’exercice qui ne permettent pas de réaliser son travail comme on le souhaiterait du fait des contraintes imposées.
Le malaise par rapport aux mouvement syndicaux dont on ne voit pas toujours l’efficacité.
Trois types de communautés intentionnelles
Les traits caractéristiques d’une communauté intentionnelle : un projet commun (respecter la nature, aspirer à l’égalité, etc.…) ; accorder la priorité au bien collectif ; travailler dans la proximité ; favoriser les interactions.
Trois types de communautés intentionnelles : les libertaires (anars, décisions par consensus), les identitaires (gourous, on se ressemble tous), les sociétaires (on construit des groupes structurés).
Dans tous les cas la question du travail est centrale. Ainsi de l’exemple des hackers space ou des fablab : un même espace, des outils, des possibilités de coopérations multiples, des innovations, des recherches alternatives, l’articulation entre le geste et la tête, des actions fondées sur le plaisir et la gratuité et non sur un objectif contraint et finalisé.
Trois exemples longuement étudiés
Le familistère de Guise de Godin : un esprit communautaire utopiste (dans la lignée de Fourier) mais aussi un succès économique, l’importance de la qualité du produit assurant la compétitivité et donc les bons salaires. Et aussi la démocratie dans les ateliers, la solidarité concrète plus que l’excellence individuelle et une réflexion sur la parité (droits similaires entre hommes et femmes).
Twin Oaks et la communauté intentionnelle tentant d’appliquer les règles imaginées dans le roman Walden Two de Skinner : féministes, écologistes, importance du collectif (repas partagés, nombreuses discussions), communauté fermée.
Noise bridge et les hackers : recyclage, bricolage, écologie, invention, travail permanent (on fait toujours des trucs), critique des experts, conviction que l’on peut résoudre les problèmes sociaux par la technique.
3. Travail libertaire : une esquisse d’idéal-type
La di-vision sociale
Comment instituer un travail libertaire à partir de ces expériences concrètes ? Cela soulève plusieurs enjeux par exemple où se situe la limite entre le travail et le domestique.
Chez Godin le travail prédomine même pour élever les enfants (solidarité, méritocratie relative).
A Twin Oaks, il y a une définition extensive du travail qui intègre les taches ménagères, éducatives, militantes et finalement toute activité utile ; et toutes ces taches sont traitées de façon équivalentes
Chez les hackers, la négociation des frontières du travail est permanente et le travail est valorisé dans ses dimensions de ruse, de subtilité, d’intelligence.
Travail et identité
A Twin Oaks, le travail est presque une religion, la feuille de travail est fétichisée, le travail est considéré comme la base de l’identité, tout le monde travaille de l’enfance à la vieillesse même s’il y a des proportions différentes.
Chez les hackers, on trouve quatre figures : le virtuose, le fidèle, le converti, l’éthique.
Les formes d’intégration par le travail
Godin : l’intégration par l’espace partagé, l’économat, la monnaie locale, les rites (hymnes, fêtes).
Twin Oaks : les crédits de travail et les contreparties (pas de salaire, seulement 100 dollars par mois d’argent de poche). Des principes d’organisation du travail très précis : variété, liberté (choisir ce que l’on a envie de faire), égalité (n’importe quelle tache en vaut une autre, prise en charge commune des taches que personne n’a envie de faire comme la vaisselle ou la fabrication du tofu).
Les hackers : être seul en groupe, constituer des bulles dans un espace collectif stimulant, un fort sentiment de faire communauté.
Travail et régulation sociale
Chez les hackers une seule règle « sois cool avec les autres » mais en réalité les espaces sont très régulés et il existe plusieurs méta-règles.
La première est qu’on est anar, on décide au consensus après des discussions très longues et régies par des techniques sophistiquées de circulation de la parole.
La seconde est la do-ocratie qui donne la priorité au « faire » et à la résolution de micro-conflits permanents car la tension est inévitable (il existe même un dramamomètre permettant de mesure l’ambiance !) et il faut sans cesse imaginer des façons de résoudre les multiples problèmes de coordination.
Conclusion
Vers un idéal-type du travail libertaire : fluctuations et négociations des frontières du travail ; individuation et investissement axiologique dans le travail comme fin en soi ; le consensus comme mode idéal de décision ; l’importance de la liberté comme forme structurante de la coopération.
Quatre façons d’articuler utopies concrètes et changement social : la bulle (Godin), la contamination (Weber), les alliances (les hackers et les makers), la démultiplication (les communautés intentionnelles).
Annexe
Trois textes de références
M. Lallement, Le travail de l’utopie. Godin et le familistère de Guise, Paris, Les belles Lettres, collection « L’histoire de profil », 2009
M. Lallement, L’âge du faire, hacking, travail anarchie, Paris, Seuil, 2015
I. Berebi-Hoffmann, M . Ch. Bureau, M. Lallement, Makers. Enquête sur les laboratoires du changement social, Paris, Seuil, 2018
M. Lallement, Un désir d’égalité. Vivre et travailler dans les communautés utopiques concrètes, Paris, Seuil, 2019 (à paraître)
Le débat avec les participants
Sujets évoqués et questions posées
Comment le travail se régule-t-il et qui gère les feuilles de travail ?
Quelle approche de l’éducation ?
Comment êtes vous entrés dans ces communautés ?
Les inégalités ne subsistent-elles pas ?
Quel voisinage avec des expériences comme les kibboutz ou Notre Dame des Landes et même les communautés utopistes en Algérie ?
Quel lien avec la question de la compétence ?
Et André Gorz dans tout ça ?
Quels rapports ont ces communautés avec la société ?
L’organisation flexible varie-t-elle selon les circonstances ?
Faut-il s’organiser pour se libérer du travail et le mettre à distance ou s’organiser pour imaginer une autre société ?
Le travail n’a-t-il pas différents sens dans les trois cas étudiés qui se distinguent aussi par des acceptions différentes de la liberté ?
Quelle est l’importance des espaces dans ces expériences et s’agit-il aussi de se réapproprier l’espace public ?
Et les loisirs dans tout ça ?
Réponses de Michel Lallement
A propos de la régulation, on doit examiner la division du travail dans les communautés intentionnelles et mentionner la présence des planers élus pour 18 mois et qui assurent l’organisation d’ensemble tandis que des managers ont en charge un secteur, font des propositions, organisent la discussion et vérifient le travail effectué.
L’éducation au travail est essentielle chez Godin. A Twin Oaks, l’apprentissage se fait dans la réalisation concrète et l’éducation des enfants se réalise dans la communauté. Chez les hackers, on considère que tout le monde a des compétences élémentaires et l’on documente sans cesse ses activités pour faire circuler les savoirs et casser ainsi la hiérarchie entre savoir et non savoir, entre les compétents et les autres.
Les inégalités sociales restent présentes et ces mouvements concernent plutôt les classes moyennes ou supérieures dans des métiers de vocation (enseignement, santé).
La question du rapport à la nature est importante dans ces expériences, nature tantôt considérée comme hostile (Considérant) tantôt magnifiée comme lieu de toutes les connaissances et de toutes les beautés (Thoreau).
N’a pas vraiment travaillé sur les autres mouvements évoqués (Kibboutz, Notre Dame des Landes, Nuit debout) mais il y a certainement des analogies.
L’importance de la présentation de soi (voir Goffman) dans le fonctionnement de ces communautés qui fixent des règles précises pour le déroulement des interactions : le prénom seulement, le vrai ou un inventé, le regard dans les yeux pour savoir si l’autre souhaite échanger ou être seul, la demande si l’on peut poser une question.
Gorz est d’abord un philosophe chez qui il n’y a pas d’entre-deux social, seulement une opposition entre individus et société. Mais sa distinction entre travail autonome et hétéronome est fructueuse.
La question des frontières du travail se pose toujours et cela engage les représentations du travail, lequel est structurant des pratiques.
La liberté et la gestion des free riders qui profitent de la situation. Le principe de liberté absolue n’exclut pas l’existence de managers implicites et l’usage de l’affect pour mobiliser les personnes.
On peut repérer plusieurs formes élémentaires de relations de ces communautés avec le « Grand Monde » : la contrainte (les liens avec les administrations), le repli (des règles internes spécifique et une certaine autarcie), l’implication (commerce), la contestation (engagement politique).
L’explosion des catégories structurantes de notre pensée : la notion de loisir n’a plus aucun sens, l’opposition entre public et privée est très floue, la notion même de droit du travail fait question.
la discussion interne le lendemain avec Michel
Mes commentaires introductifs à la discussion
Des questions posées à Michel mais aussi à tous les membres de l’atelier en vue de mieux définir nos objectifs et d’élaborer une sorte de programme de travail partagé.
Des voisinages forts avec notre projet ARTLib
Une grande proximité de thème, de point de vue, d’approche, de matériau.
L’importance de l’analyse concrète des expériences et des initiatives.
Le travail considéré d’abord comme une pratique sociale et aussi comme une œuvre et une action.
La tension entre autonomie/hétéronomie et aliénation/émancipation.
L’approche par les rapports et par les processus sociaux.
L’approche pluridisciplinaire.
Des questions générales
La sociologie critique aujourd’hui et son application au travail (voir en détails la page 6 du texte envoyé).
Les possibilités de généralisation de ces expériences ponctuelles et la façon d’intégrer ces espaces marginaux dans la société et dans l’économie.
Les limites de la régulation do-ocratique et les risques d’élitisme.
Les différences selon les contextes productifs de ces expériences : effet de taille, différences sectorielles (production, service) et statutaires (public, privé, associatif, indépendant).
Des questions sur le travail
L’opposition traditionnelle entre approche substantielle et travail comme rapport social (Friedmann/Naville) a-t-elle encore du sens aujourd’hui ?
La question de la liberté du sujet dans cette tension entre autonomie et hétéronomie et la possibilité d’émancipation dans un travail contraint et aliénant.
Le poids des collectifs dans cette même tension et l’effet de la dissymétrie de pouvoirs et les conflits que cela génère.
Les conséquences sur les modes d’organisation du travail et les modes de gestion des entreprises.
Des questions sur les utopies
Le travail dans la communauté intentionnelle est-il vraiment différent du travail contraint ? Il y a toujours une division du travail, une allocation de ressources rares, des préférences individuelles, une distinction entre travail simple et complexe, une difficulté à construire des équivalences, à combiner liberté et planification. Ou réside alors la différence ? Dans le travail pour soi, dans l’importance de la coopération dans le flou des frontières entre travail et vie ?
Des questions de méthode
Observer, interroger, écrire
Croiser tous les modes d’investigation
Articuler travail de terrain et travail théorique au delà de la simple description fine éventuellement mise en forme par des typologies
Avoir une posture de recherche-action
Les réponses de Michel
Une insatisfaction par rapport aux sociologues du travail qui ne s’intéressent pas aux mondes possibles, qui restent souvent engoncés dans la dénonciation, certes pour de bonnes raisons, mais sans examiner vraiment la diversité des formes concrètes de cette domination et les tensions qu’elle manifeste.
Des références personnelles : Weber plutôt que Hegel, la tension sans dépassement plutôt que la dialectique ternaire, Abensour, Castoriadis, De Mynck, Tromm. Et un intérêt marqué pour la sociologie critique avec l’intention de relier sociologie du travail et sociologie politique.
La question de la généralisation est en effet essentielle et on peut la décomposer en deux interrogations. D’abord comment faire une sociohistoire des utopies concrètes ? Pour cela il faut distinguer des phases et des répertoires historiques permettant de classer la grande variété des utopies. Ensuite qu’est-ce qui fait levier dans le changement ? Soit une approche par le bas et une analyse des mécanismes sociaux de diffusion, soit une approche par le haut mais ce n’est pas ce qui est cherché.
La régulation do-ocratique n’est en effet pas exempte de critiques car elle peut donner un pouvoir excessif à ceux qui prennent des initiatives et ont les ressources pour le faire ce qui accroît les inégalités. A ce propos, il importe de préciser que les conflits, loin d’être des dysfonctionnements, sont immanents et il convient de les exprimer, de les traiter pour parvenir à une régulation satisfaisante. De même la domination ne disparait jamais vraiment car les tensions subsistent. Les makers sont conscients de ce risque de dérive et de prise de pouvoir mais ils pensent que cela peut se résoudre par la technique.
Pas de réponse sur la question de la diversité sectorielle car il s’est limité à l’analyse des situations les plus radicales.
L’opposition entre Friedmann et Naville reste d’actualité et il se situe clairement sur le second pôle, celui du travail considéré comme un rapport social et celui qui considère que ce sont des enjeux sociaux qui déterminent les frontières du travail.
Concernant la méthodologie, il insiste sur certaines de ses options : refuser le déjà là, regarder d’abord les processus, examiner les formes d’institutionnalisation, considérer le travail comme structurant des identités.
Les sujets abordés par les autres membres du collectif
Quelques questions et commentaires évoqués rapidement ici juste pour laisser une trace que chaque intervenant pourrait développer et argumenter.
Christophe
Comment se constitue le savoir ? La science est d’abord une analyse de la répétition qui a tendance à exclure les possibles transformations qui justement ne se répètent pas.
Le travail révèle bien cela car l’activité n’est pas que répétition et, dans ce cas, comment faire science ? La clinique de l’activité est intéressante à cet égard car elle cherche la permanence des transformations et à créer du conflit comme moteur de transformation.
Enfin, comment aller au-delà d’une simple collection d’observations ?
Carmen
Qu’en est-il de la joie, du beau, du sensible, de l’art dans le travail ? C’est une question cruciale pour les utopies.
Les transformations techniques évoquées concernent plus les processus de discussion et de décision que la production et le travail lui-même.
Anne Marie
La science c’est aussi voir d’où vient le nouveau, comment émergent les marges.
Et comment analyser le couple liberté/domination ? Ainsi la hiérarchie reste une domination même si elle ne correspond pas tout à fait au critère wébérien. De même la pression morale est aussi une forme de domination.
Blaise
Quelle est la robustesse de ce modèle utopiste ? Y a-t-il de la qualité, de l’efficacité, de la pérennité ? Quels leviers pour élargir ces pratiques au Grand Monde : l’investissement identitaire, les projets de vie, le consensus, la plasticité ?
Maria Grazia
Examiner les finalités de la discussion dans le fonctionnement de ces communautés.
A propos des hétérotopies qui fonctionnent par elles-mêmes ou qui ont un rapport avec le système.
Le rapport au religieux, à la laïcité, aux valeurs.
Enrico
La défaite du rêve émancipatoire du travail qui conduit à la déception.
Le risque pour notre groupe d’avoir une approche trop centrée sur le travail et qui négligerait le pôle liberté alors qu’il importe de réfléchir aux diverses formes de liberté dans le travail qui par nécessité exprime les contraintes du réel.
Se demander également si les dominés ont toujours une idée de liberté, s’il n’y a pas aussi de la servitude volontaire, de la complicité voire une perversion du désir de liberté.
Frédéric
Le processus de subjectivisation, les affects, la désassignation qui crée du nouveau.
La violence sociale et la construction des communautés utopiques face à cela.
Luc
Qu’est-ce qui est au centre de ces expériences et qu’est-ce qui les fait tenir ? Le récit et le contre-récit, les récits mobilisateurs et la place de la culture dans tout cela ?
Quelle différence entre utopie et dissidence ? Faire quelque chose d’autre ou vivre entre soi ?
Fred
Quel intérêt de juxtaposer ces projets si différents entre le paternalisme de Godin et l’individualisme anarchiste, entre vision libertarienne et communiste ?
L’empathie, le rapport au sujet et ses limites.
Elisabeth
La sociologie critique et ses limites et l’importance de montrer les mondes possibles.
Y a-t-il d’autres chercheurs qui travaillent dans cette même mouvance ?
Les réponses de Michel
Quelques éléments rapidement notés et ne faisant pas cas des arguments développés.
La posture du groupe
La variété disciplinaire très forte, son intérêt et ses difficultés.
Quelle est votre épistémologie dans ce groupe ?
En sociologie, on distingue approches popérienne et critique. Pour sa part, il se réfère à Passeron et à la définition des disciplines à moyenne portée mais aussi à Feyerabend et son éclectisme théorique qu’il applique aussi sur ses sources ce qui est rare dans en sociologie, chacun ayant sa spécialité, son approche.
Il considère aussi qu’il avance en marchant, en étudiant des cas singuliers pour monter en généralité en modélisant des pratiques.
Se réfère aussi à Philippe Bernoux et ses travaux sur les organisations, le travail à soi, la capacité à se construire une identité dans le travail pour être reconnu, la possibilité toujours existante de créer des marges, d’avoir une certaine autonomie au risque d’une vision enchantée qui lui est parfois reprochée.
Utilise aussi les idéaux-types wébériens pour repérer des cohérences et rendre possibles les comparaisons.
La question du dépassement des situations insatisfaisantes
Le dépassement a plutôt lieu dans l’organisation du travail que dans le travail lui-même qui reste souvent un sale boulot et que l’on ne peut pas réenchanter aisément (contre Coutrot).
Le dépassement est aussi dans le rapport entre travail et projet de vie.
Une certaine déception quant au plaisir et à la joie que procurent de telles expériences mais en même temps les gens restent assez longtemps ce qui laisse penser que c’est quand même intéressant pour eux notamment parce que l’identité de chacun est mieux reconnue. Dans ces communautés, il n’y a pas que le travail mais également des fêtes, de la musique, du théâtre, une forte sociabilité, des rites païens, etc.
Les hétérotopies
Une notion foucaldienne intéressante mais limitée. Dans les utopies il y a un projet collectif.
L’auto-exploitation
C’est une contradiction dans les termes car l’exploitation est un rapport entre des personnes. En revanche, on peut parler de servitude volontaire qui peut aussi exister dans les communautés intentionnelles.
La sociologie critique
La sociologie critique fait généralement le pari de la négativité ( Adorno). Il y a certes des arguments mais on peut aussi « faire jouer le réel sur ses gonds » (Abensour), « rien faire comme une bête » (Adorno), ne rien faire (Boch), prendre au sérieux la capacité des sujets à définir des alternatives.
La comparaison des terrains
Il y a bien sûr des limites à cette comparaison dans le temps et dans l’espace et il y a des dimensions culturelles spécifiques aux Etats-Unis et à la France par exemple quant à l’importance du financement public, des formes de protection sociale, des réticences à l’égard de l’Etat ou du marché.
L’effet taille est déterminant, les formes d’utopies et les objets auxquels elles s’exercent n’étant pas les mêmes dans les tous petits groupes ou dans des communautés importantes.
La question de l’efficacité
Quand le travail est une finalité en soi la question de l’efficacité ne se pose pas dans les mêmes termes. Marcuse distingue travail finalité et liberté.
La question de l’accaparement par les entreprises ne peut être une main mise mécanique car il y a en fait une pluralité de pratiques.
Le rapport au monde
La question du rapport au monde est décisive et prend diverses formes : on s’attache, on se détache, on compose avec le Grand Monde. D’où l’importance des valeurs mais aussi des rites.
Une grande porosité avec la société extérieure comme condition de survie.
Les récits fondateurs
Les communautés intentionnelles utilisent des récits fondateurs et en produisent de nouveaux qu’elles diffusent en leur sein voire au-delà.
Les utopies
Les communards parlent eux-mêmes d’utopie mais en sachant qu’elle n’est jamais atteinte. C’est un geste vers qui suppose de la réflexivité permanente car il n’y a pas de modèle achevé comme dans les utopies abstraites.
Quelques suggestions pour notre séminaire
Pas facile de discuter entre disciplines, de créer un espace commun sans renoncer aux spécificités de sa discipline d’appartenance.
Faire raisonner travail et liberté dans toutes les disciplines, chacun faisant un article du point de vue de sa propre discipline.
Faire un terrain ensemble est assez complexe. Plutôt choisir un objet froid que chaud, par exemple un travail sur des archives, des expériences déjà réalisées permettant de croiser des regards, des approches. Eventuellement faire des entretiens en duo pluridisciplinaire.
(texte de José Rose, 16 avril 2019)